THERMODYNAMIQUE - Histoire

THERMODYNAMIQUE - Histoire
THERMODYNAMIQUE - Histoire

Parmi les multiples formes de l’énergie, la chaleur est celle à laquelle les savants ont mis le plus de temps à donner un statut scientifique. Or toute discipline qui a pour objet l’étude d’une catégorie déterminée de phénomènes ne devient effectivement une science qu’à partir du moment où la mesure y est introduite. La physique est en définitive parvenue à englober l’étude de la chaleur grâce à trois types de travaux: tout d’abord, la construction d’instruments de mesure, dont l’élaboration a été particulièrement tardive, ensuite la recherche expérimentale à l’aide de ces instruments, enfin l’expérimentation étayée par une théorie mathématique à la suite des réflexions provoquées par l’utilisation de la machine à vapeur.

Dans les principales étapes de cette étude, qui s’est prolongée du XVIIe au XIXe siècle, l’intuition et le savoir-faire du technicien ont précédé, en le provoquant, le travail intellectuel du physicien qui devait conduire plus tard à la thermodynamique.

Le legs de l’Antiquité

La chaleur dans la science hellène

Les mots grecs qui signifient «chaud» ou «froid» désignaient dans l’Antiquité à la fois ces deux sensations et les phénomènes physiques qui étaient supposés en être la cause: tout corps chaud ou froid était censé contenir de la chaleur ou du froid. De tout temps on avait constaté, sans que les premiers savants hellènes l’expliquent, que l’air exhalé au cours de la respiration normale est tiède, mais qu’il est froid au contraire lorsqu’il est émis en un souffle puissant. Frappés par l’importance du rôle du chaud et du froid dans la nature, ils en firent deux principes différents. Pour Aristote, le chaud et le froid constituent, avec le sec et l’humide, les quatre qualités fondamentales sous l’influence desquelles la matière première du monde a formé les quatre éléments: l’air, le feu, la terre et l’eau. Théophraste, qui lui succéda à la direction de l’école péripatéticienne, fit ressortir le caractère spécifique du feu, considéré par lui comme une forme de mouvement, dont la manifestation implique un support matériel. Son successeur, Straton de Lampsaque, célèbre pour avoir introduit l’expérimentation dans le développement de la physique aristotélicienne, fit quelques expériences qui eurent pour objet l’air et le vide: sous l’influence des idées de Démocrite, il admettait l’existence du vide entre les plus petites particules de la matière, appelées les atomes (étymologiquement, les «insécables»), et il expliquait de cette façon les phénomènes de dilatation ou de contraction que la chaleur ou le froid produisent dans les corps.

Le thermoscope de Philon de Byzance

Parallèlement aux réflexions de ces savants, quelques ingénieurs hellènes se préoccupèrent de mettre en évidence la différence qualitative entre le chaud et le froid.

Le premier appareil construit à cette fin fut inventé, vers 250 avant notre ère, par un ingénieur alexandrin, Philon de Byzance. Il comprend un ballon de plomb, vide et muni d’un bouchon étanche; une des branches d’un tube de verre, en forme d’U renversé, traverse le bouchon, tandis que son autre branche descend au fond d’un vase plein d’eau. Lorsque l’appareil est exposé au soleil, l’air qui se dilate dans le ballon de plomb provoque l’émission de bulles dans l’eau du vase. Puis, si l’on place l’appareil à l’ombre, l’air se refroidit dans le ballon, et l’eau du vase monte dans le tube de verre pour s’écouler ensuite dans le ballon. Lors d’un nouvel échauffement, l’air dilaté refoule cette eau dans le vase. Philon décrit cet appareil dans un ouvrage intitulé 刺益﨎羽猪見精晴見; il déduit de son fonctionnement que le feu est étroitement associé à l’air et que même il l’attire. La conclusion révèle la nature de l’explication des phénomènes thermiques propre aux physiciens hellènes.

Le thermoscope de Héron d’Alexandrie

Un autre appareil thermoscopique fut conçu, vers 100 avant notre ère, par l’ingénieur Héron d’Alexandrie. Une boîte parallélépipédique pleine d’eau, munie d’une ouverture la faisant communiquer avec l’atmosphère, est surmontée par un ballon partiellement rempli d’eau; un tube vertical plongeant dans la boîte débouche au-dessus du niveau de l’eau. Une branche d’un autre tube, en forme d’U renversé, traverse le ballon par un joint étanche et descend jusqu’à la partie inférieure de celui-ci; l’autre branche de ce tube surmonte un entonnoir placé sur l’ouverture de la boîte. Quand l’appareil est exposé au soleil, l’air contenu à la partie supérieure du ballon refoule dans le tube en U de l’eau qui alimente l’entonnoir et tombe dans la boîte. Lorsque l’ensemble est placé à l’ombre, l’eau de la boîte remonte dans le ballon sous l’effet de la pression atmosphérique.

L’appareil de Héron diffère essentiellement de celui de Philon par la constance de la quantité d’air emprisonné dans le ballon, mais cette particularité échappa à son inventeur. Interprétant à sa manière le fonctionnement de l’appareil, Héron attribuait en effet la diminution du volume de l’air refroidi aux fuites qui se seraient produites à travers les pores de la paroi du ballon.

Toujours dans le domaine de la chaleur, Héron prêta d’autre part attention à la pression de la vapeur d’eau; il en tira parti pour faire tourner, dans l’éolipile de son invention, une petite boule métallique, alimentée en vapeur par une marmite et munie de deux tuyères d’échappement. Dans d’autres appareils, il utilisa l’air chaud comme source d’impulsion.

Mais, étant donné la structure sociale du monde hellénistique, les savants de l’époque ne furent pas incités à progresser dans la voie de la recherche expérimentale tracée par Straton, et les ingénieurs qui appliquèrent les inventions de Héron se bornèrent à équiper les temples en dispositifs permettant de faire croire aux miracles, ou même se contentèrent de construire pour la classe dirigeante ce qu’on appellera par la suite des jouets de salon. Durant des siècles, aucun auteur ne prit la peine d’observer les phénomènes thermiques; quant aux techniciens de la métallurgie, s’ils accumulèrent sans doute de nombreuses observations concernant lesdits phénomènes, ils les transmirent oralement et ne les publièrent pas.

Évolution de la thermométrie

L’invention du thermomètre

Des conditions favorables à la reprise du développement de la physique expérimentale vont apparaître en Europe occidentale à la Renaissance. À cette époque, la nouvelle classe sociale que constituait la bourgeoisie entreprit la découverte des terres habitées, afin d’en exploiter les ressources, et l’étude des phénomènes naturels suivant la méthode du rationalisme expérimental, en vue d’améliorer la condition de l’homme.

Les Pneumatiques de Héron, dont le texte grec, conservé dans quelques bibliothèques, n’avait intéressé personne pendant près de quinze siècles, trouvèrent des lecteurs en Italie à la fin du XVIe siècle, après la publication d’une traduction latine à Urbino, en 1575, et de plusieurs éditions en italien, dont la première parut à Ferrare en 1589. Les érudits qui désiraient connaître de première main les Pneumatiques de Philon de Byzance eurent à leur disposition les manuscrits latins ou arabes qui contenaient la traduction du texte original grec disparu.

Le médecin istrien Santorio Santorio (1561-1636), professeur de médecine théorique à Padoue, qui désirait suivre l’évolution de la fièvre chez ses malades, eut, le premier, l’idée de transformer l’appareil de Héron d’Alexandrie de manière à pouvoir mesurer le degré de chaleur. L’instrument qu’il conçut est un thermomètre à air, constitué par une petite boule de verre, surmontant un tube ouvert, long et étroit, qui plonge dans un vase plein d’eau. Lorsque le changement de température de l’air qui surmonte l’eau en fait varier le volume, celle-ci se déplace dans le tube, en colonne. Le malade introduisait la petite boule de verre dans sa bouche ou la tenait dans le creux de la main, puis Santorio notait le déplacement de la colonne d’eau. Ce dernier signala son instrument dans une publication de 1612 et le décrivit en 1630. Entre-temps, il l’avait doté d’une graduation décimale qui comprenait deux repères, les premiers points fixes considérés, obtenus l’un en refroidissant la petite boule par de la neige, l’autre en la chauffant à la flamme d’une bougie. Comme on prête volontiers aux riches, plusieurs biographes de Galilée lui ont gratuitement attribué l’invention de Santorio, de trois ans son aîné.

La réalisation de Santorio marquait le premier aboutissement d’une idée répandue de façon encore confuse dans les milieux cultivés d’Europe occidentale, savoir l’introduction de la mesure dans l’étude du chaud et du froid. Le médecin Robert Fludd (1574-1637) publia, en 1626, le dessin d’un thermomètre à air de son invention, qui ressemble à celui de Santorio. De son côté, le mécanicien hollandais Cornelius Drebbel (1572-1633) passe pour avoir inventé à la même époque un thermomètre à air en forme de J et à deux boules. L’instrument construit en Italie et celui qui a été réalisé en Hollande sont représentés dans la Récréation mathématique , publiée, en 1624, à Pont-à-Mousson, par le jésuite lorrain Jean Leurechon (1593-1670), qui, le premier, les appela «thermomètre, ou instrument pour mesurer les degrez de chaleur ou de froidure qui sont en l’air»; le mot thermoscopium était apparu en 1611 pour désigner l’instrument de Santorio, dans un manuscrit latin de Bartolomeo Telioux, conservé à la bibliothèque de l’Arsenal.

Les indications des premiers thermomètres dépendaient des variations de la pression atmosphérique, dont le physicien italien Evangelista Torricelli (1608-1647) donna, en 1644, une interprétation correcte. Le grand-duc de Toscane, Ferdinand II de Médicis (1610-1670), que la physique intéressait plus que la politique, entreprit de perfectionner l’instrument de Santorio, de manière à réduire cette dépendance. Secondé par un habile émailleur, du nom de Mariani, il eut tout d’abord l’idée de placer dans un tube plein d’esprit-de-vin des billes de verres creuses, de densité apparente voisine; étant donné que la température déterminait les conditions de flottaison des billes, la position de celles-ci indiquait les variations de la température. orricelli fit voir de tels tubes le 7 novembre 1646 au voyageur lyonnais Balthazar de Monconys (1611-1665), de passage à Florence. C’est en 1654 que le grand-duc fit fabriquer le premier thermomètre véritable, à alcool, constitué par un tube de verre fermé à une extrémité et terminé à l’autre par un réservoir en forme de boule. Le thermomètre florentin était d’ordinaire divisé en 50 degrés; certains modèles l’étaient en 100 ou en 300 degrés; chaque degré était marqué sur le tube par un point d’émail, blanc pour les dizaines, noir pour les autres. Le thermomètre, divisé en 50 degrés, ne dépassait pas 40 degrés l’été à Florence; l’hiver, il y descendait parfois jusqu’à 7; dans la glace fondante, il marquait 13,5 degrés. On ignore les bases de la graduation utilisée par Mariani, dont l’habileté était telle que tous les thermomètres divisés en 50 degrés qu’il fabriquait donnaient les mêmes indications.

Le thermomètre de Florence permit aux membres de l’Accademia del cimento (Académie de l’expérience), fondée en 1657 par le grand-duc, de faire de nombreuses observations durant les dix années d’existence de cette célèbre institution. Ils constatèrent entre autres que l’eau placée dans un thermomètre augmente légèrement de volume, non pas au-dessus de son point de congélation mais à partir d’un état voisin (+ 4 0C) et comprirent qu’elle présente alors un maximum de densité. Ils expérimentèrent aussi le mercure comme liquide thermométrique, mais, trouvant l’esprit-de-vin plus commode en raison de sa dilatabilité plus élevée, ils le conservèrent.

Le thermomètre de Florence fut assez rapidement connu à l’étranger, mais par quelques exemplaires seulement. L’astronome Ismaël Boulliau (1605-1691) en reçut un d’un diplomate français en poste en Pologne et commença le 25 mai 1658 à l’utiliser pour mesurer la température à Paris; il l’avait installé rue des Poitevins, dans l’hôtel de Thou. Un voyageur anglais en rapporta un à Londres en 1661 à son retour d’Italie.

L’apparition du thermomètre au XVIIe siècle a provoqué l’évolution sémantique de température , qui perdit l’acception de tempérament que lui donnaient en particulier les médecins; le mot prit alors sa signification actuelle et remplaça peu à peu l’expression degré de chaleur .

Les différentes échelles thermométriques

Le thermomètre de Florence avait révélé aux physiciens la faculté de mesurer la température en repérant la variation du volume d’un fluide emprisonné dans une enceinte de verre. Les premiers thermomètres étaient surtout destinés à des mesures météorologiques. Le souci d’utiliser un instrument qui ne fût pas trop encombrant conduisit à prendre pour fluide thermométrique un liquide se dilatant de manière sensible. Certains conservèrent l’esprit-de-vin, d’autres adoptèrent le mercure, Newton proposa en 1701 l’huile de lin.

Quelques physiciens utilisèrent un thermomètre à air. Guillaume Amontons (1663-1705) en fit fabriquer un, ayant la forme d’un tube en U, dont une branche garnie de mercure équilibrait l’autre, qui contenait de l’huile de tartre (potasse) surmontée par une colonne de pétrole. Cet instrument, qui résultait de la fermeture du baromètre double conçu par Huygens en 1672, lui permit de constater en 1699 que «l’eau commune bouillante ne peut acquérir un plus grand degré de chaleur, quelque long temps qu’elle soit sur le feu, et quelque grand que soit ce feu».

Les thermomètres à esprit-de-vin ou à mercure construits après le thermomètre de Florence étaient logés dans une planchette ou dans une plaque de métal, sur laquelle était portée la graduation en degrés. De très nombreux types de graduation furent en usage jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. En 1665, le physicien anglais Robert Hooke (1635-1703) fit construire un thermomètre à esprit-de-vin, dans lequel le zéro était placé au point de congélation de l’eau distillée et les degrés correspondaient à des millièmes du volume initial. La graduation de Hooke ne fut pas suivie par les constructeurs contemporains, qui préférèrent recourir à deux points fixes. Le professeur napolitain Sebastiano Bartolo est le premier à avoir proposé, dans un livre posthume publié en 1679 (Thermologia Aragonia, sive Historia naturalis thermarum ), l’utilisation de la neige et de l’eau bouillante. Le constructeur Joachim d’Alencé, dans un traité paru à Amsterdam en 1688, proposa deux paires de points fixes, soit le point de congélation de l’eau et le point de fusion du beurre, soit la température d’un mélange de glace et de sel et celle d’une cave profonde, dont les mesures avaient révélé la constance. D’autres repères furent utilisés. Chaque constructeur déterminait lui-même la graduation: celle-ci portait à la fois sur le nombre de divisions entre les deux points fixes considérés ou sur la valeur de la partie aliquote du volume initial, dans le cas d’un seul point fixe retenu, ainsi que sur le sens des degrés croissants, qui dans certaines échelles indiquait l’échauffement, dans d’autres le refroidissement.

Les premiers constructeurs de thermomètres, imitant en cela la pratique suivie pour les baromètres, inscrivaient plusieurs qualifications; elles étaient sur l’échelle thermométrique au nombre de quatre ou cinq pour le chaud comme pour le froid et se répartissaient par rapport à l’indication «tempéré». Chacune de ces qualifications couvrait un certain nombre de divisions de l’échelle et désignait ce qu’on appelait un degré de chaud ou de froid. C’est seulement au cours du XVIIIe siècle que ce premier sens de degré disparaîtra, pour être remplacé par celui d’une division de l’échelle.

Parmi les thermomètres inventés au XVIIIe siècle, deux étaient appelés à connaître une grande diffusion: le thermomètre Réaumur et surtout le thermomètre Fahrenheit.

Le thermomètre Fahrenheit

L’astronome danois Ole Roemer (1644-1710) construisit, en 1702, un thermomètre à esprit-de-vin. Il commençait par vérifier le caractère cylindrique du tube de verre à l’aide d’une goutte de mercure, puis il divisait la longueur du tube en deux parties d’égal volume, qu’il subdivisait en deux. Enfin, après avoir garni le tube d’esprit-de-vin et l’avoir scellé, il marquait la division 60 dans l’eau bouillante et la division 7,5 dans la neige ou la glace pilée, puis les graduations allant de 8 à 59. Le choix du nombre 60 n’est pas étonnant de la part d’un astronome. Quant à l’échelle retenue, elle témoignait du souci de ne lire que des nombres positifs, le huitième de l’échelle étant réservé pour les basses températures. L’hiver à Copenhague, en effet, le froid ne descendait jamais au-dessous du zéro correspondant. En fait Roemer fut appelé à construire pour les observations météorologiques des thermomètres qui n’avaient pas besoin d’être munis d’un tube aussi long. Ces thermomètres usuels, il les étalonnait à l’aide du précédent, en les plongeant dans de la neige ou dans de la glace pilée, puis dans de l’eau chaude ayant une température de 22,5 degrés correspondant à sa graduation (température du corps humain).

Le thermomètre de Roemer ne constituerait qu’un exemple de plus de l’ingéniosité des physiciens du temps, si son auteur n’avait reçu la visite, en 1708, d’un jeune homme né à Dantzig, Daniel Gabriel Fahrenheit (1686-1736). Roemer montra sa méthode d’étalonnage des thermomètres usuels à son visiteur, qui en retint l’utilisation systématique du point de fusion de la glace et de la température du sang comme points fixes. Quelques semaines plus tard, Roemer modifia le marquage du point fixe inférieur et remplaça 7,5 par 8. Fahrenheit en fut avisé et établit sur ces deux points fixes la graduation des divers thermomètres qu’il fabriqua. Ses premiers thermomètres à alcool furent eux aussi gradués conformément à la deuxième échelle de Roemer. En 1717, Fahrenheit entreprit la fabrication de thermomètres à mercure qu’il gradua en divisions plus petites, à valeur du quart de celles de Roemer. Le point de fusion de la glace fut dès lors marqué 32 degrés, et la température normale du corps humain 90; estimant peu commode que ce nombre ne fût pas un multiple du premier, il le remplaça assez tôt par 96 (la température normale de l’homme est en réalité 98,6 0F, soit 37 0C). Fahrenheit n’utilisa jamais le point d’ébullition de l’eau comme point fixe; dans une de ses communications en latin publiées dans les Philosophical Transactions en 1724, il indiqua que dans son échelle définitive ce point se situait à 212 degrés. Dans une autre communication, il signala le phénomène de surfusion de l’eau. Après sa mort, les thermomètres Fahrenheit à mercure furent fidèlement reproduits par Hendrik Prins, puis par d’autres fabricants, qui normalisèrent les points fixes de l’échelle à 32 degrés pour la fusion de la glace, à 212 pour l’ébullition de l’eau. Le thermomètre Fahrenheit à mercure s’était rapidement répandu aux Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne. Sa vogue tenait au caractère positif des indications fournies en toute saison et surtout à l’excellente qualité des instruments mis sur le marché, laquelle avait valu à leur premier fabricant d’être admis, en 1724, à la Société royale de Londres.

La pratique commerciale des sociétés américaines ou britanniques a rendu la graduation Fahrenheit familière à bon nombre d’ingénieurs et de techniciens des pays qui ont adopté le système métrique.

Le thermomètre Réaumur

En France, les thermomètres utilisés au XVIIe siècle étaient à esprit-de-vin, et durent attendre jusqu’à 1730 pour être bien définis. Ce fut à cette date que Réaumur (1683-1757) communiqua à l’Académie royale des sciences ses Règles pour construire des Thermomètres dont les degrés soient comparables, et qui donnent une idée d’un Chaud ou d’un Froid qui puissent être rapportés à des mesures connues.

L’auteur, qui ignorait la proposition faite par Hooke au siècle précédent, y expose sa préférence pour l’esprit-de-vin en tant que liquide thermométrique, en raison de sa grande dilatabilité. Son idée directrice est de définir le degré comme une partie aliquote, le millième, du volume d’esprit-de-vin mis en mouvement à la température de congélation de l’eau. Réaumur décrit minutieusement la méthode adoptée pour graduer le tube. Il évite cependant dans cette opération d’employer l’esprit-de-vin, dont l’adhérence au verre fausserait les mesures. Au début il recourait à l’eau et se servait d’ampoules de capacités échelonnées bien déterminées; par la suite il reconnaît que le mercure permet une manipulation plus rapide. Il matérialise par un fil le zéro sur le tube et trace les autres graduations sur un papier blanc fixé sur la planchette destinée à porter le tube. Une fois la graduation tracée, il verse l’esprit-de-vin dans le tube jusqu’à trois ou quatre degrés au-dessus du fil repérant le zéro, puis plonge la boule du thermomètre dans un vase cylindrique de fer-blanc rempli d’eau, qu’il congèle ensuite. Après avoir réglé la quantité d’esprit-de-vin de manière qu’elle affleure tout juste au zéro, il retire le thermomètre de la glace, scelle hermétiquement l’extrémité du tube à la lampe d’émailleur et n’a plus qu’à fixer l’instrument dans son logement.

Réaumur sait l’intérêt qu’offrent des thermomètres aux indications comparables. Aussi insiste-t-il sur le caractère variable de la dilatation de l’esprit-de-vin, qui dépend de sa composition. Celle-ci est difficile à préciser avec les techniques de l’époque; on ne connaît guère que la mesure de la quantité d’eau, appelée flegme , qui forme le résidu de la combustion de l’esprit-de-vin. Réaumur n’apprécie pas ce procédé et, bien qu’il utilise un pèse-liqueur qu’il estime pourtant défectueux, il n’ose cependant pas en recommander l’emploi, le module n’en étant pas encore normalisé. Faute de pouvoir recourir à une autre caractéristique physique, il en vient à recommander l’emploi d’un esprit-de-vin possédant le même coefficient de dilatation que celui qu’il avait utilisé et à propos duquel il avait écrit sur la planchette du thermomètre: Esprit de Vin, dont le volume condensé par la congélation de l’eau est 1 000, et raréfié par l’eau bouillante est 1 080. Cette formulation devait être à tort interprétée vers 1750 comme signifiant que Réaumur avait voulu fixer la température d’ébullition de l’eau à 80 degrés.

Les premiers thermomètres construits par Réaumur avaient des dimensions énormes: boule de trois à quatre pouces (81 à 108 mm) de diamètre, tube de quatre à cinq pieds (1,30 à 1,62 m) de hauteur et de trois à quatre lignes (6,8 à 9 mm) de diamètre intérieur. L’abbé Nollet (1700-1770), assistant de Réaumur, en fabriqua de plus petits, dont la hauteur n’excédait pas un pied (32,57 cm). Afin de déterminer le point fixe avec plus de précision, Réaumur avait adopté, vers 1732, le point de fusion de la glace.

La comparaison des thermomètres, au début du XVIIIe siècle, avait révélé que l’alcool et le mercure ne se dilatent pas de façon proportionnelle. Cette observation, que Réaumur connaissait, incita peu à peu les physiciens à normaliser les thermomètres. Leur tendance se renforça lorsqu’ils découvrirent l’extrême diversité de ce que les fabricants appelaient l’échelle de Réaumur. Pendant une certaine période, le thermomètre de Réaumur a désigné des instruments où la température d’ébullition de l’eau se trouvait à une division comprise entre 80 et 100 0R. Cette constatation conduisit, en 1772, le physicien genevois Jean-André Deluc (1727-1817) à proposer une division en 80 parties de l’intervalle fondamental du thermomètre qui devait être utilisé dans les pays ayant adopté le thermomètre de Réaumur. Les constructeurs français normalisèrent peu à peu leur échelle suivant cette proposition, mais le renom laissé par Réaumur était alors si grand qu’ils lui donnèrent son nom. Durant le siècle qui a suivi l’invention du thermomètre, une soixantaine de graduations différentes avaient vu le jour, ainsi que le précise le physicien batave Jan Hendrik Van Swinden (1746-1823) dans la Dissertation sur la comparaison des thermomètres , publiée en 1778. La normalisation n’était pas encore achevée à la fin de l’Ancien Régime et allait se réaliser en Europe continentale suivant une graduation centésimale.

La division centésimale

Vers le milieu du XVIIIe siècle deux types de thermomètres à mercure ont reçu une division centésimale entre le point de fusion de la glace et la température d’ébullition de l’eau.

Le physicien suédois Anders Celsius (1701-1744) fit construire en 1741 un thermomètre à mercure, qui marquait 0 degré au point d’ébullition et 100 au point de congélation de l’eau et qui fut utilisé de 1742 à 1750 à l’observatoire d’Upsal. En 1745, Linné présenta à l’Académie suédoise des sciences un thermomètre à mercure à échelle centésimale ascendante ayant le zéro au point de congélation de l’eau. À la même époque, le secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts de Lyon, Jean-Pierre Christin (1683-1755), faisait construire par l’artisan lyonnais Pierre Casati un thermomètre à mercure à échelle centésimale ascendante, qu’il présenta le 19 mars 1743 à l’assemblée publique de cette académie. Suivant le témoignage d’un contemporain, «M. Christin a reconnu qu’une quantié de mercure, condensée par le froid de la glace pilée et ensuite dilatée par la chaleur de l’eau bouillante formoit dans ces deux états deux volumes qui étoient entre eux comme 66 à 67 et qu’un volume de 6 600 parties condensé est devenu par la dilatation 6 700 parties. La différence de 100 de la condensation à la dilatation est le nombre de degrés qu’il donne à l’échelle du nouveau thermomètre de mercure entre ces deux points.»

Le thermomètre suédois et le thermomètre de Lyon n’auraient eu qu’une utilisation restreinte si la Révolution française n’avait donné au monde moderne le système métrique, et si la Commission des poids et mesures, créée par la Convention, n’avait décidé en 1794 que «le degré thermométrique sera la centième partie de la distance entre le terme de la glace et celui de l’eau bouillane». En octobre 1948, à la suite d’une décision de la IXe Conférence des poids et mesures, le degré centésimal a pris le nom de degré Celsius, après une nouvelle adaptation des points fixes primaires d’étalonnage.

Évolution de la calorimétrie

Au XVIIe siècle, avant l’invention du thermomètre, les physiciens ne pouvaient avoir que des idées confuses en ce qui concerne la chaleur; l’œuvre de Jean-Baptiste Morin (1583-1656), professeur de mathématiques et d’astronomie au Collège royal (l’actuel Collège de France), en témoigne. Dans son Astrologia gallica , publiée en 1661 à La Haye, Morin est tout fier de consacrer un chapitre à la détermination de la température d’un mélange: Hac de re (quod sciam) nemo hactenus quidquam determinavit (Sur ce sujet, que je sache, personne n’a jusqu’ici déterminé quoi que ce soit), écrit-il dans l’introduction. L’auteur utilisait un thermomètre divisé en huit degrés, dont la partie médiane marquait le tempéré, les quatre degrés supérieurs le chaud, et les quatre inférieurs le froid. L’eau, dont la température atteint la deuxième division du froid, est selon lui un liquide ayant 2 degrés de chaud et 6 de froid. Morin considérait en quelque sorte la chaleur comme la couleur. Pour lui le chaud et le froid sont deux qualités contraires. Afin de calculer la température d’un mélange, il pose trois principes:

– Aucune destruction de qualité, c’est-à-dire de chaud ou de froid, ne se produit dans un mélange, où seule a lieu une permutation;

– L’action et la réaction interviennent seulement entre les qualités opposées présentes avec le plus grand degré, les autres qualités se bornant à s’intensifier;

– La vertu totale d’un nombre de degrés est la même dans le chaud et dans le froid.

Morin traite plusieurs problèmes, entre autres la température du mélange, en quantités égales, d’eau ayant 2 degrés de chaud et 6 de froid, et d’eau ayant 4 degrés de chaud et 4 de froid. À l’aide de ces principes il montre tout d’abord que le mélange ne peut rester à la température de l’eau froide ni atteindre celle de l’eau chaude. Il rejette ensuite la valeur moyenne de 3 degrés de chaud et 5 de froid; puis, grâce à une équation du premier degré à une inconnue, il calcule le nombre de degrés de chaud du mélange et trouve 24/5. Morin ne songe pas à vérifier ce résultat par l’expérience.

Les physiciens cartésiens contemporains rejettent les notions du chaud ou du froid en soi et considèrent que les expériences sont nécessaires pour l’établissement de la physique comme science. Jacques Rohault (1620-1671) indique en outre dans son Traité de physique , publié en 1671: «L’air que nous avons attiré par la respiration peut estre senty en mesme temps chaud et froid, selon les différentes manières dont il s’applique sur nos mains, en soufflant dessus. En faisant réflexion sur cette expérience, qui nous montre qu’un mesme air ne paroist pas seulement chaud ou froid selon la différente manière dont il s’applique sur nos mains, mais aussi selon la différente façon dont nous le faisons sortir de nostre bouche, il est aisé de conjecturer que la chaleur d’un corps consiste dans un mouvement particulier de ses parties; Et d’autant que, plus on serre les lèvres, pour faire sortir l’air plus vite, et moins on sent de chaleur, on peut conclure que la chaleur d’un corps ne consiste pas dans le mouvement direct de ses parties. Or ce qui se meut, et qui ne se meut pas directement, ne sçauroit se mouvoir que d’un mouvement inégal et divers, et comme alentour de son propre centre; ainsi l’on doit inférer, qu’outre que l’air qui sort de la bouche passe tout entier d’un lieu dans un autre d’un mouvement direct, la pluspart de ses parties ont encore un mouvement en quelque façon circulaire alentour de leur propre centre; au moyen de quoy, celles qui s’appliquent à nostre main, avec l’action de ce mouvement, semblent la toucher comme pour exciter en elle une espèce de chatouillement; Et comme c’est cette sorte d’action qui excite en nous le sentiment de chaleur, il faut aussi conclure que c’est dans cette sorte de mouvement des petites parties d’un corps que consiste la chaleur de ce corps. Ainsi, ce qui se rencontre de la part de l’objet, est bien différent du sentiment qu’il excite.»

Herman Boerhaave (1668-1738), professeur à l’université de Leyde, publie, en 1732, ses Elementa chemiae , dont une partie est consacrée au feu. Il y décrit quelques expériences faites sur sa demande par Fahrenheit. «Lorsqu’on mélange deux quantités égales d’un même liquide (eau, vinaigre, alcool, huile), l’une chaude, l’autre froide, le degré de chaleur qui s’établit est moitié de l’excès de la quantité la plus chaude sur la plus froide.» Cette loi simple ne vaut pas pour deux liquides différents: eau et mercure par exemple. En fait, Boerhaave avait mal reproduit les observations de Fahrenheit, comme l’indique l’édition française parue en 1754, et il en avait déduit qu’une fois l’équilibre thermique réalisé, il y avait une même quantité de chaleur dans chaque volume de l’espace.

Les travaux de Joseph Black

L’inexactitude de cette conclusion frappa Joseph Black (1728-1799): les deux notions différentes que sont la température et la quantité de chaleur avaient été manifestement confondues. Black entreprit toute une série d’expériences en utilisant uniquement la balance et le thermomètre Fahrenheit. En plongeant une livre d’or à 150 0F dans une livre d’eau à 50 0F, il trouva que l’équilibre thermique s’établissait à 55 0F. Il en déduisit que la capacité de l’or pour la chaleur est à celle d’un poids égal d’eau comme 5 (55 漣 50) est à 95 (150 漣 55), soit 1/19.

Black étendit ses recherches à la fusion et à la vaporisation, c’est-à-dire aux changements d’état. Avant lui, on considérait qu’un solide chauffé à son point de fusion ne demandait qu’une petite quantité additionnelle de chaleur pour fondre. Si cette opinion était fondée, remarqua-t-il, les grandes masses de neige ou de glace accumulées l’hiver fondraient immédiatement dès qu’elles auraient atteint leur température de fusion. Black créa l’expression chaleur latente pour désigner la nouvelle caractéristique physique que firent apparaître ses expériences entreprises en décembre 1761 sur la fusion de la glace. Il étudia ensuite la vaporisation en plaçant un petit vase plein d’eau sur le couvercle d’un poêle en fonte, dans lequel il entretenait un feu assez régulier pour qu’à des temps égaux soient dégagées des quantités sensiblement égales de chaleur; il compara le temps mis par l’eau pour parvenir à ébullition à celui que nécessite l’évaporation complète de cette même eau. Cette expérience, suffisante pour démontrer l’absorption de chaleur produite par la vaporisation, mais trop grossière pour en donner une mesure exacte, incita Black à entreprendre, de concert avec le médecin Irvine, de nouvelles expériences dans lesquelles il employa la méthode des mélanges, qu’il avait imaginée pour déterminer la chaleur spécifique. Se servant d’un alambic, il mesura l’élévation de température que l’eau froide entourant le serpentin recevait de la condensation d’une certaine quantité de vapeur. Il trouva un résultat trop faible, par suite des corrections qu’il négligeait de faire.

Black tenait ses étudiants au courant de son expérimentation, sans en publier les résultats. Il les mettait en garde contre toute théorie de la chaleur, dont la formulation lui paraissait constituer une perte de temps. C’est seulement en 1803 que, dans ses Lectures on the Elements of Chemistry , John Robinson (1739-1805) relata les travaux de Black.

Une dizaine d’années après Black, un professeur de physique à l’Académie militaire de Stockholm, Johann Carl Wilcke (1732-1796), étudia la fusion de la neige par la méthode des mélanges. Il publia ses résultats en 1772. Un physicien portugais fixé à Londres, João Jacinto de Magalhães (1722-1790), en fit état en 1780 dans un Essai sur la nouvelle théorie du feu élémentaire et de la chaleur. Il y introduisit le néologisme chaleur spécifique , pour désigner «la quantité de la chaleur absolue qui appartient à chaque élément».

En 1782, Laplace proposa à Lavoisier de construire un appareil isolé de l’extérieur, qui permettrait de mesurer les quantités de chaleur au moyen de la pesée de l’eau produite par la fusion de la glace. L’appareil fut construit et servit à effectuer les premières mesures précises de quantités de chaleur, dont les deux savants communiquèrent les résultats à l’Académie royale des sciences le 18 juin 1783. Dans leur mémoire, ils employèrent l’expression chaleur spécifique avec l’acception qui a subsisté. Quant au mot calorimètre pour désigner le nouvel appareil utilisé, il apparaîtra en 1789 dans le Traité élémentaire de chimie , présenté dans un ordre nouveau et d’après les découvertes modernes , de Lavoisier.

Le calorique

Dans un mémoire de 1777 sur la combinaison de la matière du feu avec les fluides évaporables et sur la formation des fluides élastiques, Lavoisier écrivait: «Je supposerai que la Planète que nous habitons est environnée de toutes parts d’un fluide très subtil, qui pénètre, à ce qu’il paroît sans exception, tous les corps qui le composent, que ce fluide, que j’appellerai fluide igné , matière du feu , de la chaleur et de la lumière , tend à se mettre en équilibre dans tous les corps, mais qu’il ne les pénètre pas tous avec une égale facilité; enfin, que ce fluide existe tantôt dans un état de liberté, tantôt sous forme fixe, et combiné avec les corps.» Exposant en 1787 les principes de la nouvelle nomenclature chimique, Guyton-Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy écrivaient à leur tour: «Nous avons pensé qu’il falloit distinguer la chaleur, qui s’entend ordinairement d’une sensation, du principe matériel qui en est la cause, et nous avons désigné ce dernier par le mot calorique . Ainsi nous dirons que le calorique produit la chaleur, que le calorique a passé d’une combinaison dans une autre sans produire une chaleur sensible, etc. Cette expression sera aussi claire et moins embarrassante dans le discours que celle de matière de la chaleur que la nécessité de se faire entendre avoit introduite depuis quelques années.» Dans son Traité de chimie , Lavoisier précisait: «Dans toute espèce de gaz, on doit distinguer le calorique, qui fait en quelque sorte l’office de dissolvant, et la substance qui est combinée avec lui et qui forme la base.»

À propos des théories en vigueur à l’époque, Laplace et Lavoisier indiquaient dans leur mémoire de 1783: «Les Physiciens sont partagés sur la nature de la chaleur; plusieurs d’entre eux la regardent comme un fluide répandu dans toute la Nature, et dont les corps sont plus ou moins pénétrés, à raison de leur température, et de leur disposition particulière à la retenir; il peut se combiner avec eux, et dans cet état il cesse d’agir sur le thermomètre, et de se communiquer d’un corps à l’autre; ce n’est que dans l’état de liberté qui lui permet de se mettre en équilibre dans le corps, qu’il forme ce que nous nommons chaleur libre .

«D’autres Physiciens pensent que la chaleur n’est que le résultat des mouvements insensibles des molécules de la matière. On sait que les corps, même les plus denses, sont remplis d’un grand nombre de pores ou de petits vides, dont le volume peut surpasser considérablement celui de la matière qu’ils renferment: ces espaces vides laissent à leurs parties insensibles, la liberté d’osciller dans tous les sens, et il est naturel de penser que ces parties sont dans une agitation continuelle, qui, si elle augmente jusqu’à un certain point, peut les désunir et décomposer les corps; c’est ce mouvement intestin qui, suivant les Physiciens dont nous parlons, constitue la chaleur...

«Nous ne déciderons point entre les deux hypothèses précédentes; plusieurs phénomènes paroissent favorables à la dernière, tel est, par exemple, celui de la chaleur que produit le frottement de deux corps solides; mais il en est d’autres qui s’expliquent plus simplement dans la première; peut-être ont-elles lieu toutes deux à la fois.»

Théorie mécanique de la chaleur

Les travaux de Benjamin Thompson (comte Rumford)

L’officier américain Benjamin Thompson (1753-1814) entreprit, durant un séjour à Munich, d’approfondir la nature de la chaleur. Il expérimenta tout d’abord sur trois flacons de même poids, emplit le premier d’eau, le deuxième d’esprit-de-vin, le troisième de mercure et placés pendant vingt-quatre heures dans une pièce à 61 0F. Il constata que leur poids ne variait pas lorsqu’on les déplaçait et qu’on les laissait durant quarante-huit heures dans une pièce à 30 0F; il en fut encore de même lorsque les trois flacons réintégrèrent la pièce chaude. Thompson en conclut que la chaleur n’avait aucun effet sur le poids des corps. Il eut ensuite l’idée de faire tourner, autour d’un foret, un canon de bronze en cours de fabrication. Placé dans une caisse de bois pleine d’eau, le canon était mis en rotation par un manège à chevaux. Au bout de deux heures et demie la chaleur dégagée devint telle que l’eau de la caisse se mit à bouillir. «On ne peut imaginer ce qui est mis en jeu et transmis dans ces expériences, si ce n’est le mouvement», écrivit-il en 1798.

Thompson effectua d’autres expériences qui furent décrites dans les Mémoires sur la chaleur publiés à Paris en 1804; celles-ci ne convainquirent personne.

L’analyse de Joseph Fourier

La propagation de la chaleur dans les solides avait attiré l’attention de Newton. Ayant enfoncé une tige prismatique de fer dans un brasier, il avait observé que l’extrémité libre de la tige était l’objet d’une perte de chaleur proportionnelle à la chaleur reçue et il en avait déduit la première idée d’un pyromètre (Philosophical Transactions , 1701). L’invention de Newton conduisit Amontons à mesurer sur un barreau de fer de cinquante-neuf pouces (1,60 m) de longueur, chauffé de la sorte, les distances auxquelles fondaient le verre, le plomb, l’étain, un alliage de plomb et d’étain, la cire blanche, le suif et le beurre (Mémoires de l’Académie royale des sciences , 1703). Le physicien allemand Lambert montra que la température dans un tel prisme suit une loi logarithmique de décroissement (Pyrometria , 1779).

L’expérience d’Amontons fut refaite par Joseph Fourier (1768-1830) en 1804 lorsque celui-ci, alors préfet de l’Isère, aborda, en recourant à l’analyse mathématique, l’étude théorique de la propagation de la chaleur dans les corps solides. Fourier évita de fonder son étude sur une explication physique de la chaleur. «De quelque manière que l’on veuille concevoir la nature de cet élément, soit qu’on le regarde comme un être matériel distinct, qui passe d’une partie de l’espace dans une autre, soit qu’on fasse consister la chaleur comme la seule transmission du mouvement, on parviendra toujours aux mêmes équations, parce que l’hypothèse qu’on aura formée doit représenter les faits généraux et simples, dont les lois mathématiques sont dérivées», écrivit-il dans la Théorie analytique de la chaleur , publiée en 1822. Fourier découvrit les équations différentielles du mouvement variable de la chaleur en étudiant le flux, dont la notion lui fut suggérée par l’image du fluide calorique indestructible. Il fit l’hypothèse fondamentale suivante: dans les corps isotropes la chaleur «s’écoule» normalement aux surfaces isothermes, proportionnellement au taux de diminution de la température v suivant cette normale à l’instant t considéré, et proportionnellement à un paramètre K, qui est en général fonction de la température. Avec ces notations, la quantité de chaleur, qui pendant l’instant dt s’écoule à travers un cercle horizontal infiniment petit de surface 諸, a pour valeur :

Fourier établit les équations du mouvement uniforme de la chaleur dans un prisme solide d’une longueur infinie: il considéra une barre prismatique plongée par une extrémité dans une source constante de chaleur maintenant cette extrémité à la température A, le reste de la barre, de longueur infinie, demeurant exposé à un courant uniforme d’air atmosphérique à la température 0. Le maintien de la température en chaque point de la barre entraînant l’égalité de la chaleur reçue et de la chaleur transmise, Fourier trouva que la température v doit satisfaire en chaque point à l’équation aux dérivées partielles:

Lorsque la température varie, le second membre de cette équation devient, à un coefficient près, égal à 煉v / 煉t . Pour intégrer ces équations, Fourier utilisa la série trigonométrique qui porte toujours son nom. L’analyse de Fourier marque le début de la physique mathématique; elle a eu une grande répercussion sur l’étude des phénomènes électriques. La loi d’Ohm par exemple, formulée en 1827 (Die galvanische Kette ), a d’abord été considérée comme une extension aux courants électriques du problème connu sous le nom de «mur indéfini de Fourier».

Les réflexions de Sadi Carnot

En France, à la suite de l’ordonnance du roi datée du 29 octobre 1823, portant règlement sur les machines à feu à haute pression, une Commission centrale des machines à vapeur avait été créée, qui devait charger l’ingénieur des Mines Victor Regnault (1810-1878) d’entreprendre la série d’expériences dont les résultats furent publiés en 1847.

Dans le cours de chimie appliquée qu’il professait au Conservatoire des arts et métiers, Clément avait longuement traité de la chaleur. Un de ses auditeurs, Sadi Carnot (1796-1832), officier du génie, publia en 1824 des Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance , dans lesquelles il évita de recourir à l’analyse mathématique. Fondant ses démonstrations sur l’absurdité d’admettre la création de toutes pièces de force motrice ou de chaleur, il énonçait, outre le principe qui associe son nom à celui de Clausius, trois propositions:

– Lorsqu’un gaz passe, sans changer de température, d’un volume et d’une pression déterminés à un autre volume et à une autre pression également déterminés, la quantité de calorique absorbée ou abandonnée est toujours la même, quelle que soit la nature du gaz choisi comme sujet d’expérience;

– La différence entre la chaleur spécifique sous pression constante et la chaleur spécifique sous volume constant est la même pour tous les gaz;

– Lorsqu’un gaz varie de volume sans changer de température, les quantités de chaleur absorbées ou dégagées par ce gaz sont en progression arithmétique, si les accroissements ou réductions de volume sont en progression géométrique.

Sadi Carnot avait en partie établi sa chaîne de raisonnements sur l’hypothèse du calorique indestructible. Sa publication resta ignorée jusqu’à ce que l’ingénieur des Mines Émile Clapeyron (1799-1864) en ait donné un large commentaire dans un mémoire sur la puissance motrice de la chaleur, publié en 1834 dans le Journal de l’École royale polytechnique . Le nom de William Thomson (lord Kelvin, 1824-1907) doit également être associé à cette redécouverte. Les papiers de Sadi Carnot, publiés en 1878 par son frère Hippolyte, révèlent qu’il avait abandonné la théorie du calorique et adopté la théorie mécanique de la chaleur, dont il avait d’ailleurs calculé l’équivalent.

Origine de la thermodynamique

Alors que Carnot admettait encore au début de ses travaux l’hypothèse du calorique indestructible, il avait, en 1824, énoncé en quelque sorte un principe de corrélation entre la chute de la chaleur d’une température 1 à une température 2 inférieure et le travail maximal développé par une machine à vapeur. Son analyse le conduisait en définitive à associer l’équivalence mécanique de la chaleur mise en œuvre à la perte de qualité que celle-ci subissait par suite de l’abaissement de la température.

En 1839, Marc Seguin (1786-1875) affirma plus simplement l’existence d’une certaine proportion entre la chaleur et le travail qu’elle produisait, mais négligea de déterminer le coefficient de proportionnalité.

Le principe d’équivalence de l’unité de chaleur se dégagea peu à peu des réflexions des physiciens concernant l’opération inverse de celle qui avait été étudiée par Carnot.

Le médecin bavarois Robert Mayer (1814-1878) en eut l’intuition en juillet 1840, alors qu’il se trouvait à bord d’un navire néerlandais dans le port de Sourabaya (Java). Le sang veineux de ses patients lui paraissant plus rouge sous le climat tropical qu’en Europe, Mayer attribua ce phénomène à la présence dans l’organisme d’une plus grande quantité d’oxygène, cet accroissement étant dû à une diminution de la combustion des aliments qui fournissent la chaleur à l’organisme. Mayer admettait que la chaleur du corps provenait de l’énergie chimique des aliments. Il supposa que l’énergie mécanique, l’énergie chimique et la chaleur étaient équivalentes. De retour en Allemagne, il approfondit la question et, à partir des données publiées sur la détente des gaz, il calcula en 1842 l’équivalent mécanique de l’unité de chaleur et trouva que 365 kgm correspondaient à une calorie.

Les conclusions de l’article de Mayer (Annalen der Chemie und Pharmacie , Heidelberg, 1842) furent confirmées par deux publications contemporaines.

James Prescott Joule (1818-1889) avait, en 1840, découvert la loi, qui porte maintenant son nom, sur la chaleur fournie par un courant électrique parcourant une résistance. En 1843, il mesura le travail mécanique fourni à une dynamo placée dans un récipient plein d’eau, dont l’élévation de température permettait de déterminer la chaleur produite. Il trouva qu’un travail de 838 livres-pieds procurait la chaleur élevant de 1 0F la température d’une livre d’eau, ce qui correspond à 460 kgm pour une calorie (Report of the Meeting of the British Association , Cork, 1843).

De son côté, Ludvig August Colding (1815-1888) présenta, en 1843, le résultat de ses expériences sur ce sujet à l’Académie danoise des sciences, mais son mémoire (Nogle Saetninger om Kraefterne ) ne fut publié qu’en 1856.

Si le principe d’équivalence découvert par Mayer supprimait la corrélation entrevue par Carnot, l’observation de celui-ci sur le travail fourni par une machine thermique, qui implique le passage d’une certaine quantité de chaleur de la source chaude à la source froide, ne pouvait être contestée. Le physicien allemand Rudolf Clausius (1822-1888) eut, en 1851, l’idée géniale de formuler un principe de limitation à partir de l’observation de Carnot, dont William Thomson venait de rappeler l’énoncé.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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